30

 

 

C’est tout juste si elle attendit que Marthona se réveille, le lendemain matin, pour lui annoncer que le temps du Long Jour d’Été était venu. La réaction de la mère de Jondalar fut mitigée. Elle était contente pour Ayla, mais savait aussi que celle-ci ne tarderait pas à partir pour la Réunion d’Été et la laisserait seule. Pas vraiment seule, puisque tous les autres seraient encore là, mais la compagnie d’Ayla avait été si merveilleuse qu’elle avait à peine remarqué l’absence de tant de ses proches. Elle avait même constaté que les infirmités qui l’empêchaient de se rendre à la Réunion semblaient s’atténuer. Les talents de guérisseuse de la jeune femme, ses tisanes, cataplasmes, massages et autres soins avaient apparemment été efficaces. Marthona se sentait beaucoup mieux. Ayla allait beaucoup lui manquer.

Le soleil parut ne pas s’écarter de sa trajectoire, se coucher presque au même endroit pendant sept jours. Ayla n’en était certaine que pour trois jours. Il semblait y avoir eu un léger écart les deux jours précédents et les deux suivants, quoique inférieur à la normale. Elle fut alors stupéfaite de voir que le point où le soleil se couchait revenait en arrière. Il était fascinant d’assister à ce changement de direction et de penser qu’il allait rebrousser chemin jusqu’au départ, le Jour Court d’Hiver.

Elle avait observé le Jour Court d’Hiver précédent avec Zelandoni et plusieurs autres personnes, mais elle n’avait pas éprouvé le même sentiment d’exaltation, bien que ce jour-là ait été plus important pour la plupart des gens. C’était le Jour Court qui annonçait la fin des frimas hivernaux et le retour de la chaleur estivale, et il était célébré avec enthousiasme.

Mais ce Jour Long d’Été revêtait une grande importance pour Ayla. Elle avait observé le phénomène elle-même et en ressentait une grande satisfaction et du soulagement. Cela voulait également dire que son année d’observation s’achevait. Elle allait monter sur la falaise quelques jours encore et continuer à consigner ses observations, uniquement pour voir si, et comment, le lieu du coucher changeait, mais elle pensait déjà à son départ pour la Réunion d’Été.

 

 

Le lendemain soir, après s’être assurée que le soleil revenait en arrière, elle se sentit agitée, là-haut à son poste d’observation. Elle avait été nerveuse toute la journée et pensa que c’était peut-être à cause de sa grossesse ou parce qu’elle était soulagée de savoir qu’il ne lui restait plus beaucoup de nuits en solitaire à regarder le ciel. Elle tenta de se calmer en reprenant les paroles du Chant de la Mère. C’était son chant favori, mais plus elle se répétait les couplets, plus elle ressentait une tension.

Pourquoi suis-je si perturbée ? Je me demande si un orage n’est pas en train de se préparer. Cela me fait parfois cet effet.

Elle se rendit compte qu’elle parlait toute seule.

Peut-être devrais-je méditer, pensa-t-elle. Ça devrait m’aider à me détendre. Je vais me faire une infusion.

Elle retourna à l’endroit où elle s’était installée, ranima le feu, remplit un petit récipient de cuisson avec l’eau de son outre et passa en revue les plantes qu’elle transportait dans un petit sac accroché à la lanière qui lui entourait la taille. Elle rangeait les feuilles séchées en petits paquets attachés par des ficelles de types et diamètres variés, à l’extrémité desquelles elle faisait un certain nombre de nœuds pour les reconnaître, comme le lui avait montré Iza.

Même à la lueur du feu et au clair de lune, il faisait trop sombre pour différencier les plantes entre elles et elle dut se fier à son toucher et à son odorat. Elle se souvint de son premier sac à médecines, que lui avait donné Iza. Il était fait d’une peau entière et imperméable de loutre, dont les entrailles avaient été retirées par l’ouverture du cou. Elle l’avait copié à plusieurs reprises et avait encore en sa possession le dernier exemplaire qu’elle avait confectionné, alors qu’elle vivait au Clan. Il avait beau être usé et miteux, elle n’arrivait pas à s’en débarrasser. Elle avait songé à en faire un neuf. C’était un sac à médecines du Clan, doté d’un pouvoir unique. Même Zelandoni avait été impressionnée quand elle l’avait vu pour la première fois, se rendant compte rien qu’à son aspect qu’il avait quelque chose de spécial.

Ayla choisit deux petits paquets. La plupart de ses plantes étaient médicinales, mais certaines avaient un effet léger et pouvaient sans inconvénient être bues en infusion pour le plaisir, comme la menthe ou la camomille, recommandées contre les maux d’estomac et pour faciliter la digestion tout en étant agréablement parfumées. Elle opta pour un mélange mentholé qui contenait une plante relaxante, chercha le paquet et le huma. C’était bien de la menthe. Elle en versa un peu dans le creux de sa main, le jeta dans l’eau fumante et, après avoir laissé infuser un moment, elle remplit sa tasse. Elle la vida parce qu’elle avait soif et se versa une deuxième tasse, qu’elle but à petites gorgées. Le mélange lui parut un peu éventé. Il va falloir que je cueille de la menthe fraîche, pensa-t-elle, mais ce n’est pas si mauvais que cela.

Quand elle eut fini, elle se mit à respirer à fond, comme on le lui avait appris. Lentement, profondément, se dit-elle. Pense à la couleur claire, à un ruisseau d’eau claire coulant sur des galets ronds, pense à un ciel clair sans nuages, à la lumière du soleil, pense au vide.

Elle se retrouva en train de fixer la lune, qui n’était pas encore à son premier quartier la dernière fois qu’elle l’avait regardée mais était maintenant grosse et ronde dans le ciel nocturne. Elle semblait croître, emplir son champ de vision, et elle se sentit attirée en elle de plus en plus vite. Elle réussit à en arracher son regard et se leva.

Elle se dirigea lentement vers le gros rocher incliné.

Cette pierre luit ! Non, c’est encore un effet de mon imagination. C’est seulement le clair de lune. La roche est différente des autres, peut-être réfléchit-elle mieux la clarté de la pleine lune.

Elle ferma les yeux, longtemps, lui sembla-t-il. Quand elle les rouvrit, la lune l’attira de nouveau, l’énorme pleine lune l’aspirait. Elle regarda alentour. Elle volait ! Sans faire de vent ni de bruit. Elle regarda en bas. La falaise et la rivière avaient disparu et le paysage lui était inconnu. Elle crut un instant qu’elle allait tomber. Elle avait le vertige. Tout tournait. Des couleurs vives formaient autour d’elle un vortex de lumière chatoyante qui tourbillonnait de plus en plus vite.

Ça s’arrêta soudain et Ayla se retrouva en haut de la falaise. Elle se prit à se concentrer sur l’énorme lune qui grossissait encore, emplissait de nouveau son champ de vision. Attirée en elle, elle se remit à voler, à voler comme elle le faisait quand elle aidait son Mamut. Elle baissa les yeux et vit la pierre. Elle était vivante, rutilante de spirales de lumière palpitante. Elle se sentait aspirée par elle, happée par le mouvement. S’échappant du sol, des lignes d’énergie tournoyaient autour de l’énorme colonne de pierre en équilibre précaire, puis disparaissaient en une couronne de lumière à son sommet. Elle flottait juste au-dessus du rocher luisant, le regard fixé sur lui.

Il était plus brillant que la lune et éclairait les parages. Il n’y avait pas un souffle de vent, pas la moindre brise, aucune feuille ou branche ne bougeait, mais le sol et l’air autour d’elle étaient animés d’un mouvement empli de formes et d’ombres qui voltigeaient en tous sens, de formes sans substance qui fulguraient au hasard, distillant une faible énergie semblable à la lueur de la pierre. À mesure qu’elle regardait, le mouvement se précisait, s’orientait vers un but. Les formes se dirigeaient vers elle, la pourchassaient ! Elle éprouva une sensation de picotement, ses cheveux se dressèrent sur sa tête. L’instant d’après, elle dévalait le sentier escarpé en trébuchant, glissant, emportée par la peur. En arrivant à l’abri, elle courut vers l’entrée éclairée par le clair de lune.

Couché près du lit de Marthona où elle lui avait dit de rester, Loup leva la tête et gémit.

Ayla continua sa course vers la Rivière du Bas, puis vers la Rivière et le sentier qui la longeait. Elle se sentait chargée d’énergie et courait maintenant pour le plaisir, non plus pourchassée mais attirée par quelque force énigmatique. Elle traversa la rivière au Gué avec force éclaboussures et poursuivit son chemin, pour toujours lui semblait-il. Elle approchait d’une haute falaise en surplomb, une falaise qui lui était à la fois familière et totalement inconnue.

Elle arriva à un sentier escarpé et commença à grimper, le souffle rauque, incapable de s’arrêter. En haut du sentier s’ouvrait le trou sombre d’une grotte. Elle pénétra en courant dans ses ténèbres, si épaisses qu’elles en étaient presque palpables, puis trébucha sur le sol irrégulier, tomba de tout son long et heurta la roche de la tête.

Elle se réveilla dans l’obscurité. Elle se trouvait dans un long tunnel noir, mais elle y voyait quand même. Les parois luisaient, faiblement irisées par l’humidité. Elle se dressa sur son séant, la tête endolorie, et pendant un moment elle vit tout en rouge. Elle avait l’impression que les parois défilaient à toute allure alors qu’elle ne bougeait pas. L’irisation se remit à miroiter, ce n’était plus sombre. Les parois flamboyaient de couleurs sinistres, verts fluorescents, rouges rutilants, bleus éclatants, blancs lumineux.

Elle se releva et longea la paroi glissante, froide et humide qui devint d’un bleu-vert glacial. Elle n’était plus dans une caverne, mais dans une crevasse au fond d’un glacier. Ses grandes surfaces planes reflétaient des formes fugitives et éphémères. Au-dessus d’elle, le ciel était d’un bleu violacé profond. Sa tête lui faisait mal et le soleil éblouissant l’aveuglait. Il se rapprocha et emplit la crevasse de lumière, sauf que ce n’était plus une crevasse.

Elle était dans une rivière impétueuse, emportée par le courant. Des objets passaient à côté d’elle, pris dans des tourbillons et des courants inverses qui tournoyaient de plus en plus vite. Elle était entraînée dans un maelström, aspirée par lui, et tournait, tournait à n’en plus finir. Dans un vertige de mouvement spiralé, la rivière se referma sur sa tête et tout devint noir.

Elle était maintenant engloutie dans un vide sépulcral et volait, volait à une rapidité inconcevable. Puis son mouvement se ralentit et elle se retrouva dans un épais brouillard embrasé d’une lumière qui l’enveloppait. Le brouillard s’ouvrit, révélant un paysage étrange. Des formes géométriques, vert fluorescent, rouge rutilant, bleu éclatant, se répétaient sans fin. Des structures inouïes s’élevaient dans les airs. De larges rubans se déroulaient au sol, d’un blanc lumineux, parcourus de formes qui filaient à toute allure, qui filaient à sa poursuite.

Elle était pétrifiée par la peur et sentait qu’un filet liquide sondait la lisière de son esprit et semblait la reconnaître. Elle se recula et longea la paroi à tâtons aussi vite qu’elle put. En proie à la panique, elle arriva à un cul-de-sac. Elle s’écroula au sol et sentit un trou devant elle. Il était petit et elle ne pouvait y entrer qu’en rampant. Elle s’écorcha les genoux sur la roche rugueuse, mais n’y prêta pas attention. Le trou se rétrécit et elle ne put aller plus loin. L’instant d’après, elle fonçait de nouveau dans le vide, si vite qu’elle en perdait toute sensation de mouvement.

En fait, ce n’était pas elle qui se déplaçait, mais les ténèbres autour d’elle. Elles se rapprochaient, l’étouffaient, la noyaient, et elle était une nouvelle fois dans la rivière, entraînée par le courant. Elle était fatiguée, épuisée, le courant l’emportait vers la mer, la mer chaude. Elle ressentit une vive douleur au fond d’elle-même, les eaux chaudes et salées la submergeaient. Elle en inspira l’odeur, le goût, et se mit à flotter tranquillement dans le liquide tiède.

Ce n’était pas de l’eau mais de la boue. Haletante, elle chercha sa respiration en essayant de s’extraire de la vase, puis la bête qui la poursuivait la saisit, la broya. Elle se plia en deux, poussa un cri de douleur. Elle se creusa un chemin à travers la boue, s’efforça de s’échapper du trou profond dans lequel la bête l’avait tirée.

L’instant d’après, elle était libre, grimpait à un arbre, se balançait à ses branches, poussée par la soif vers le bord de mer. Elle plongea dedans, étreignit l’eau, se mit à grandir et à mieux flotter. Finalement debout, elle aperçut un vaste pré et se dirigea vers lui en pataugeant.

Mais l’eau la retenait. Elle lutta pour se tirer de cette marée antagoniste, puis s’effondra, épuisée. Elle sentit la traction, la douleur, la douleur affreuse qui menaçait de la déchirer. Dans un flot de liquide chaud, elle céda à la sollicitation.

Elle rampa encore un peu, s’adossa à une paroi, ferma les yeux et vit une steppe fertile enluminée de fleurs printanières. Un lion des cavernes vint vers elle en bondissant dans un mouvement lent et gracieux. Elle était dans une grotte minuscule, coincée sur une petite déclivité. Elle grandissait à mesure que la caverne s’élargissait. Les parois respiraient, se dilataient, se contractaient ; elle était dans une matrice, une énorme matrice noire au tréfonds de la terre. Mais elle n’était pas seule.

Des formes vagues, transparentes, se fondaient en d’autres, reconnaissables, celles d’animaux de toutes sortes, mammifères, oiseaux, poissons, insectes, qu’elle avait déjà vues, et certaines qu’elle était sûre de n’avoir jamais vues. Ils formaient une procession, sans ordre ni structure, chacun semblant se muer en un autre. Un mammifère se métamorphosait en oiseau, poisson, insecte, ou en un autre mammifère. Une chenille devint un lézard, puis un oiseau, qui lui-même se transforma en lion des cavernes.

Le lion attendait qu’elle le suive. Ils traversèrent ensemble des passages, des tunnels, des couloirs ; les parois se muaient en silhouettes qui prenaient de la consistance à leur approche, puis redevenaient translucides et se fondaient dans la paroi quand ils s’éloignaient. Une procession de mammouths laineux franchit d’un pas pesant une vaste plaine herbeuse, puis un troupeau de bisons la rattrapa et forma les rangs autour d’elle.

Elle vit deux rennes s’approcher l’un de l’autre. Ils se touchèrent le museau, puis la femelle se laissa tomber à genoux et le mâle se baissa et la lécha. Cette scène pleine de tendresse émut Ayla, puis son attention fut attirée par deux chevaux, un mâle et une femelle. La femelle en chaleur se plaça devant le mâle et s’offrit à l’animal, qui se préparait à la monter.

Elle se tourna dans une direction différente et suivit le lion le long d’un tunnel. Au bout, elle arriva dans une niche arrondie assez grande, pareille à une matrice. Elle entendit un martèlement de sabots à l’approche d’un troupeau de bisons qui emplit la niche. Ils s’arrêtèrent pour se reposer et paître.

Mais le martèlement continuait, les parois palpitaient à un rythme lent et régulier. Le sol de roche dure semblait céder sous ses pieds et la palpitation se transforma en une voix profonde, si faible au début qu’elle était à peine audible. Puis elle devint plus forte et elle reconnut le son. C’était le tambour parlant des Mamutoï ! Elle n’avait entendu pareil tambour que chez les chasseurs de mammouths.

L’instrument, formé d’un os de mammouth, possédait une telle résonance et une diversité tonale si affirmée, quand on tapait dessus rapidement avec une ramure à des endroits différents, qu’il émettait un son proche d’une voix prononçant à un rythme staccato des mots qui ne ressemblaient pas à ceux des humains mais étaient néanmoins des mots. Ils avaient un vibrato légèrement ambigu, qui ajoutait une touche de mystère et de profondeur expressive, mais quand le tambour était joué par quelqu’un d’assez talentueux, c’étaient clairement des mots. Il pouvait littéralement faire parler le tambour.

Le rythme et la structure des mots produits par l’instrument commencèrent à devenir reconnaissables. Puis elle perçut le son aigu d’une flûte, accompagné par une voix haut perchée qui ressemblait à celle de Fralie, une Mamutoï qu’elle avait connue. Fralie était enceinte, une grossesse difficile qui avait failli ne pas arriver à terme. Ayla lui était venue en aide, mais le bébé, une fille, était quand même né prématurément. Elle avait cependant vécu et était devenue saine et forte.

Assise dans la niche ronde, Ayla s’aperçut que son visage était mouillé de larmes. Elle pleurait à gros sanglots, comme si elle avait subi une perte terrible. Le son du tambour s’amplifia et noya sa lamentation douloureuse. Elle reconnaissait des sons, discernait des paroles :

 

Des ténèbres, du Chaos du temps,

Le tourbillon enfanta la Mère suprême.

Elle s’éveilla à Elle-Même sachant la valeur de la vie,

Et le néant sombre affligea la Grande Terre Mère.

La Mère était seule. La Mère était la seule.

 

C’était le Chant de la Mère ! Interprété comme elle ne l’avait jamais entendu. Si elle avait su chanter, c’est ainsi qu’elle l’aurait fait. La voix était à la fois profonde comme le son du tambour, haute et sonore comme celui d’une flûte, et la niche résonnait de cette sonorité riche et vive.

La voix lui emplissait la tête de mots qu’elle sentait plus qu’elle n’entendait et la sensation allait bien au-delà des mots. Elle savourait à l’avance chaque vers et quand il arrivait, son expression était plus pleine, plus éloquente, plus profonde. Ça semblait devoir continuer éternellement, et elle ne voulait pas que ça s’arrête, aussi, quand le chant approcha de la fin, éprouva-t-elle une profonde tristesse.

 

Satisfaite des deux êtres qu’Elle avait créés,

La Mère leur apprit l’amour et l’affection.

Elle insuffla en eux le désir de s’unir,

Le Don de leurs Plaisirs vint de la Mère.

Avant qu’Elle eût fini, Ses enfants L’aimaient aussi.

 

Mais quand elle crut que c’était fini, le chant reprit :

 

Son dernier Don, la Connaissance que l’homme a son rôle à jouer.

Son besoin doit être satisfait avant qu’une nouvelle vie puisse commencer.

Quand le couple s’apparie, la Mère est honorée

Car la femme conçoit quand les Plaisirs sont partagés.

Les Enfants de la Terre étaient heureux, la Mère pouvait se reposer un peu.

 

Ces paroles étaient comme un cadeau, une bénédiction qui apaisait sa peine. La Mère lui faisait savoir qu’elle avait raison, qu’elle avait eu raison depuis le début. Elle l’avait toujours su ; maintenant, elle en avait confirmation. Elle sanglotait de nouveau, éprouvait toujours de la douleur, mais celle-ci était maintenant mêlée de joie. À mesure que les paroles se répétaient encore et encore dans son esprit, elle pleurait de chagrin et de bonheur.

Elle entendit le grondement d’un fauve et son lion totémique se tourna pour s’en aller. Elle tenta de se lever, mais elle était trop faible et elle appela l’animal :

— Ne t’en va pas, mon beau ! Qui va me conduire hors d’ici ?

L’animal descendit le tunnel en bondissant, puis il s’arrêta et revint vers elle, mais ce n’était pas le lion qui approchait. La bête sauta soudain sur elle et lui lécha le visage. Ayla secoua la tête, tremblante et désorientée.

— Loup ? C’est toi, Loup ? Comment es-tu arrivé ici ? dit-elle en serrant le gros animal dans ses bras.

Tandis qu’elle tenait ainsi le loup enlacé, ses visions de bisons dans la niche s’estompèrent et s’obscurcirent. Les scènes qui se déroulaient sur les parois se brouillèrent aussi. Elle s’appuya de la main à la paroi et sortit à tâtons de la niche. Elle s’assit par terre et ferma les yeux pour lutter contre l’étourdissement. Elle les rouvrit, sans être sûre d’y parvenir. Qu’elle eût les yeux ouverts ou fermés, c’était le noir absolu et un frisson de peur lui parcourut la colonne vertébrale. Comment allait-elle trouver la sortie ?

Elle entendit alors Loup gémir et sentit sa langue sur son visage. Elle tendit la main vers lui et sa nervosité diminua. Elle chercha à tâtons la paroi et ne trouva rien, puis elle heurta la roche de l’épaule. Il y avait sous l’une des parois un espace qu’elle n’avait pas remarqué parce qu’il était au ras du sol, mais en cherchant son chemin elle toucha quelque chose qui n’était pas de la pierre.

Elle retira la main précipitamment, puis, se rendant compte que le contact était familier, elle la tendit de nouveau. La caverne était plus noire que la nuit et elle tenta de déterminer ce qu’elle avait touché. Ça avait la texture d’une peau de daim soigneusement grattée. Elle tira à elle un ballot de cuir. Elle l’examina en le palpant, localisa une lanière ou une sangle, la défit et trouva une ouverture. C’était une sorte de sac en cuir souple accroché à une sangle. À l’intérieur, elle découvrit une outre vide – ce qui lui rappela qu’elle avait soif –, quelque chose en fourrure, peut-être un manteau, et elle sentit des restes de nourriture.

Elle referma le sac, le mit sur son épaule, puis se releva et resta contre la paroi, luttant contre le vertige et une vague de nausée. Quelque chose de chaud parcourut l’intérieur de sa jambe. Le loup aimait la renifler, mais elle lui avait fait perdre cette habitude depuis longtemps et elle repoussa son museau inquisiteur.

— Nous devons sortir d’ici, Loup. Rentrons à la maison.

Tout en se mettant à marcher et en se guidant de la main à la paroi humide, elle se rendit compte combien elle était faible et épuisée.

Le sol était irrégulier et glissant, jonché de morceaux de roche mêlés à de la boue argileuse. Des stalagmites, certaines fines comme des brindilles, d’autres aussi massives que des gros troncs d’arbres, semblaient sortir de terre comme des plantes. Leur extrémité, quand il lui arrivait de la toucher, était mouillée par le ruissellement inexorable d’eau calcaire tombant goutte à goutte des stalactites, leurs homologues, pareilles à des glaçons de pierre qui descendaient du plafond. Après s’être cogné la tête à l’une d’elles, elle se montra plus prudente. Comment avait-elle pu s’enfoncer si loin dans les profondeurs de cette grotte ?

Le loup partait en éclaireur, puis revenait vers elle ; à un certain moment, il l’empêcha de prendre une mauvaise direction. En sentant le sol monter sous ses pieds, elle sut qu’elle approchait de la sortie. Elle était venue assez souvent dans cette grotte pour reconnaître l’endroit, mais en essayant d’escalader l’éboulis elle fut prise de vertige et tomba à genoux. La sortie semblait beaucoup plus loin que dans son souvenir et elle dut s’arrêter pour se reposer plusieurs fois. Bien que l’ensemble de la caverne fût sacré, une barrière rocheuse naturelle séparait la partie antérieure plus ordinaire et le fond, d’une grande sacralité. L’ouverture était le seul endroit où y pénétrer, l’entrée du Monde Souterrain de la Grande Mère.

La température commença à monter légèrement de l’autre côté de l’obstacle, mais elle avait très froid. Après une courbe, elle crut voir un soupçon de lumière devant elle et essaya de se hâter. Elle sut avec certitude qu’elle ne s’était pas trompée en arrivant à la courbe suivante. Elle distinguait maintenant les parois luisantes d’humidité et, devant elle, le loup qui trottait vers une faible clarté. Après avoir tourné un coin, elle fut soulagée de voir la lumière tamisée qui filtrait de l’extérieur ; ses yeux s’étaient à tel point habitués à l’obscurité qu’elle la trouvait presque trop forte. En apercevant l’ouverture droit devant, elle se mit quasiment à courir.

Elle sortit en titubant de la caverne et cligna de ses yeux larmoyants, ce qui laissa des marques sur ses joues boueuses. Loup se rapprocha d’elle. Quand elle put enfin voir, elle eut la surprise de découvrir le soleil haut dans le ciel et plusieurs personnes qui la regardaient. Les deux chasseurs, Lorigan et Forason, ainsi que Jeviva, la mère de la femme enceinte, restèrent d’abord où ils étaient, les yeux fixés sur elle, comme pris d’une crainte révérencielle, et leurs saluts furent quelque peu circonspects, mais quand elle trébucha et tomba ils se précipitèrent pour l’aider à se relever. En voyant leur air préoccupé, elle éprouva un grand soulagement.

— De l’eau, dit-elle. J’ai soif.

— Donne-lui de l’eau, dit Jeviva, qui avait remarqué du sang sur ses jambes et ses vêtements mais n’en souffla mot.

Lorigan déboucha son outre et la lui tendit. Elle but avidement en laissant le liquide couler de sa bouche dans sa hâte. L’eau ne lui avait jamais paru aussi bonne.

— Merci. Je m’apprêtais à lécher l’eau qui ruisselle sur les parois.

— J’ai connu ça, dit Lorigan en souriant.

— Comment avez-vous su que j’étais ici ? Et que j’allais sortir ?

— J’ai vu le loup courir dans cette direction, dit Forason, en montrant l’animal de la tête. Quand je l’ai dit à Marthona, elle a pensé que tu étais là-dedans. Elle nous a demandé de venir t’attendre. Elle a dit que tu aurais peut-être besoin d’aide. Depuis, nous nous sommes relayés ici. Jeviva et Lorigan venaient justement prendre la relève.

— J’ai déjà vu des Zelandonia revenir de leur appel, déclara Jeviva. Certains étaient si épuisés qu’ils ne pouvaient marcher. D’autres ne reviennent pas. Comment te sens-tu ?

— Très fatiguée, répondit Ayla. Et j’ai encore soif.

Elle but à nouveau et tendit l’outre à Lorigan. Le ballot qu’elle avait trouvé à l’intérieur de la caverne glissa quand elle baissa le bras. Elle l’avait oublié. En pleine lumière, elle voyait maintenant que des motifs caractéristiques avaient été peints dessus. Elle le montra.

— J’ai trouvé ça là-dedans. Savez-vous à qui il appartient ? Quelqu’un l’a peut-être caché là et oublié.

Lorigan et Jeviva se regardèrent, puis Lorigan dit :

— J’ai vu Madroman le porter.

— Tu as regardé à l’intérieur ? demanda Jeviva.

— Je n’y voyais pas, il n’y avait pas de lumière, mais je l’ai examiné à tâtons.

— Tu étais dans le noir ? s’étonna Forason, incrédule.

— Peu importe, dit Jeviva en lui intimant de se taire. Ça ne te concerne pas.

— J’aimerais voir ce qu’il y a dedans, dit Lorigan en lançant à Jeviva un regard significatif.

Ayla lui tendit le sac. Il en tira le manteau de fourrure et le déplia. Il était fait de carrés et de triangles de peau de divers animaux et de teintes variées, cousus ensemble suivant le motif caractéristique d’un acolyte de la Zelandonia.

— C’est bien celui de Madroman. Je l’ai vu sur lui l’année dernière, quand il est venu donner des conseils à Jeralda pour garder le bébé, dit Jeviva d’un ton dédaigneux. Elle portait celui-là depuis près de six lunes. Il a prétendu qu’elle devait accomplir toutes sortes de rituels pour apaiser la Mère, mais quand Zelandoni l’a vue tourner en rond dehors, elle l’a fait rentrer et s’allonger immédiatement. Elle a dit qu’elle avait besoin de repos, sinon le bébé se détacherait trop tôt. Selon la doniate, la seule chose qui n’allait pas était qu’elle avait la matrice glissante et tendance à laisser les bébés échapper trop facilement. Elle a perdu celui-là.

Elle regarda Lorigan.

— Qu’y a-t-il d’autre là-dedans ?

Il plongea la main dans le sac et en sortit l’outre vide, qu’il leva pour que tous la voient, puis il regarda dedans et renversa le reste du contenu sur le manteau de fourrure. Des bouts de viande séchée en partie mâchés et un gros morceau de galette tombèrent dessus ainsi qu’une petite lame en silex et une pierre à feu. Parmi les miettes, il y avait aussi quelques éclats de bois et des morceaux de charbon de bois.

— Avant le départ pour la Réunion d’Été, Madroman ne se vantait-il pas d’avoir été appelé et de devenir Zelandoni la même année ? s’enquit Lorigan.

Il leva l’outre.

— Il ne devait pas avoir très soif quand il est sorti de cette grotte.

— N’as-tu pas dit que tu avais l’intention d’aller à la Réunion d’Été plus tard, Ayla ? demanda Jeviva.

— Je pensais partir dans quelques jours. Peut-être vais-je attendre un peu, maintenant. Mais, oui, j’ai bien l’intention d’y aller.

— Tu devrais emporter ça avec toi, dit Jeviva en enveloppant soigneusement les restes de nourriture, les éclats de bois, le matériel pour faire du feu et l’outre dans le manteau, qu’elle fourra dans le sac. Et dire à Zelandoni où tu l’as trouvé.

— Tu arrives à marcher ? demanda l’aîné des chasseurs.

Ayla essaya de se relever et se sentit prise de vertige. Pendant quelques instants tout devint noir et elle retomba en arrière. Loup gémit et lui lécha le visage.

— Reste là, dit le chasseur. Viens, Lorigan. Nous devons fabriquer une civière pour la transporter.

— Si je me repose un peu, je crois que je serai capable de marcher.

— Non, il vaut mieux que tu t’en abstiennes, dit Jeviva, qui se tourna vers les chasseurs : Je vais attendre ici avec elle jusqu’à ce que vous reveniez avec la civière.

Ayla s’adossa à un rocher avec soulagement. Peut-être aurait-elle été capable de marcher jusqu’à la Neuvième Caverne, mais elle était contente d’en être dispensée.

— Tu as peut-être raison, Jeviva. J’ai par moments la tête qui tourne.

— Pas étonnant, dit Jeviva tout bas.

Elle avait remarqué une tache de sang sur la roche quand Ayla avait tenté de se relever.

J’ai l’impression qu’elle a perdu son bébé là-dedans, pensa-t-elle. Quel terrible sacrifice pour devenir Zelandoni, mais elle ne triche pas, contrairement à Madroman.

 

 

— Ayla ? Ayla ? Tu es réveillée ?

Ayla ouvrit les yeux et vit la silhouette floue de Marthona penchée vers elle, qui la regardait avec inquiétude.

— Comment te sens-tu ?

Ayla réfléchit un instant.

— J’ai mal, murmura-t-elle d’une voix rauque. Partout.

— J’espère que je ne t’ai pas réveillée. Je t’ai entendue parler ; tu rêvais, sans doute ? Zelandoni m’avait avertie que cela allait peut-être arriver. Elle ne pensait pas que ce serait si tôt, mais elle a dit que c’était possible. Elle m’a demandé de ne pas te retenir, de ne pas laisser Loup te suivre, mais elle m’a donné une tisane à te préparer à ton retour.

Elle posa la tasse fumante qu’elle avait à la main pour aider Ayla à se redresser. L’infusion était chaude et la jeune femme but avec plaisir. Elle avait encore soif, mais se rallongea, trop fatiguée pour rester assise. Elle commençait à avoir les idées plus claires. Elle était chez elle, sur sa couche. Elle regarda autour d’elle : Loup se trouvait à côté de Marthona. Il gémit d’inquiétude et se rapprocha d’elle. Elle le toucha et il lui lécha la main.

— Comment suis-je arrivée ici ? demanda-t-elle. Je ne me souviens plus de grand-chose après être sortie de la caverne.

— Les chasseurs t’ont transportée sur une civière. Tu as tenté de marcher, mais tu t’es évanouie, ont-ils dit. Tu es descendue en courant de ton poste d’observation, apparemment jusqu’au Trou Profond des Rochers de la Fontaine. Tu n’avais pas toute ta tête et tu y es entrée sans feu ni quoi que ce soit d’autre. Lorsque Forason est venu me dire qu’il fallait que tu sortes de là, je n’ai pas été capable d’y aller. De toute ma vie, je ne me suis jamais sentie aussi inutile.

— Je suis contente que tu sois là, Marthona, dit Ayla avant de refermer les yeux.

 

 

Quand elle les rouvrit, la fois suivante, seul Loup était là, veillant sur elle. Elle lui sourit, lui tapota la tête et le gratta sous le menton. Il posa ses pattes sur sa couche et essaya de s’approcher pour lui lécher le visage. Elle sourit derechef, le repoussa et tenta de s’asseoir. Elle émit un gémissement de douleur malgré elle et Marthona arriva en toute hâte.

— Ayla ! Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je n’ai jamais eu aussi mal en tant d’endroits différents.

Marthona avait l’air si inquiète que cela fit sourire Ayla.

— Je n’en mourrai pas, tu sais.

— Tu as des bleus et des égratignures partout, mais je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de cassé.

— Depuis combien de temps suis-je ici ?

— Plus d’un jour. Tu es arrivée hier en fin d’après-midi et le soleil vient de se coucher.

— Je suis partie longtemps ?

— Je ne sais pas quand tu es entrée dans la grotte, mais entre ton départ et ton retour il s’est écoulé plus de trois jours, presque quatre.

Ayla hocha la tête.

— Je n’ai plus la notion du temps. J’ai quelques bribes de souvenirs, quelques-uns très clairs. J’ai un peu l’impression d’avoir rêvé, mais pas vraiment.

— Tu as faim ? Soif ? demanda Marthona.

— J’ai soif, répondit Ayla, qui se sentit aussitôt toute desséchée, comme si le seul fait de le dire lui avait permis de se rendre compte combien elle était déshydratée. Très soif.

Marthona sortit et revint avec une outre et une tasse.

— Tu veux t’asseoir ou seulement que je te relève la tête ?

— Je préfère essayer de m’asseoir.

Elle roula sur le côté pour tenter d’étouffer ses gémissements, puis se releva sur un coude et s’assit au bord de la couche. Elle eut un moment de vertige, puis cela passa. Elle ressentait surtout une douleur intérieure. Marthona versa de l’eau dans la tasse qu’Ayla prit à deux mains. Elle but d’un trait et la tendit pour qu’elle la lui remplisse à nouveau. Elle était aussi assoiffée que lorsqu’elle avait bu à l’outre en sortant de la caverne. Elle but, à peine plus lentement.

— Tu n’as toujours pas faim ? Tu n’as encore rien mangé, dit Marthona.

— J’ai mal au ventre.

— J’imagine bien.

Marthona détourna le regard.

— Pourquoi devrais-je avoir mal au ventre ?

— Tu saignes, Ayla. Tu as sans doute des crampes, et peut-être autre chose.

— Je saigne ? Comment cela se pourrait-il ? J’ai manqué trois lunes, je suis enceinte, je… Oh, non ! s’écria Ayla. J’ai perdu mon bébé, c’est cela ?

— Je le crois. Je ne suis pas experte en la matière, mais toute femme sait que l’on peut être enceinte et saigner en même temps, du moins pas autant que tu l’as fait. Tu saignais quand tu es sortie de la grotte et tu as saigné beaucoup depuis. Il va sûrement te falloir du temps pour reprendre des forces. Je suis désolée, Ayla. Je sais que tu voulais ce bébé.

— La Mère le voulait encore plus, dit Ayla d’un ton monocorde, accablée par le chagrin.

Elle se rallongea et regarda fixement le surplomb calcaire. Elle se rendormit à son insu.

En se réveillant, elle éprouva un besoin pressant d’uriner. C’était manifestement la nuit, mais plusieurs lampes étaient allumées. Elle regarda alentour : Marthona dormait sur des coussins installés à côté de sa couche. Près d’elle, Loup la regardait, la tête levée. Il a maintenant à veiller sur nous deux, pensa-t-elle. Elle se tourna sur le côté, se redressa de nouveau et resta assise un moment au bord de la couche avant d’essayer de se lever. Elle était raide et avait encore mal, mais elle se sentait plus vigoureuse. Elle se mit debout avec précaution. Loup se leva aussi. Elle lui fit signe de se recoucher, puis fit quelques pas vers le vase de nuit près de l’entrée.

Elle aurait dû penser à prendre de la bourre absorbante avec elle. Elle avait beaucoup saigné. Comme elle retournait vers sa couche, Marthona lui en apporta.

— Je ne voulais pas te réveiller, lui dit-elle.

— Ce n’est pas toi, c’est Loup qui m’a réveillée, mais tu aurais dû le faire. Tu veux de l’eau ? J’ai aussi du ragoût, si tu as faim.

— Je veux bien de l’eau et peut-être un peu de ragoût, dit Ayla en repartant vers le vase de nuit pour changer la bourre.

Le mouvement calma un peu la douleur.

— Où veux-tu manger ? demanda Marthona en boitillant vers le coin de l’habitation dévolu à la cuisine. Au lit ?

Elle aussi était ankylosée et endolorie. Dormir sur des coussins dans une mauvaise position avait aggravé son arthrite.

— Non, je préfère m’installer à table.

Ayla rejoignit Marthona et versa un peu d’eau dans une petite bassine, puis se rinça les mains et s’essuya le visage avec un morceau de cuir absorbant. Elle était certaine que Marthona l’avait déjà lavée un peu, mais elle avait envie de prendre un bon bain pour se rafraîchir et de se frotter avec de la saponaire. Peut-être demain matin, pensa-t-elle.

Le ragoût était froid mais savoureux. Quand elle prit les premières bouchées, Ayla crut qu’elle allait pouvoir en manger plusieurs bols, mais elle fut vite rassasiée. Marthona leur prépara une infusion et vint s’asseoir à table avec Ayla. Loup se faufila dehors pendant qu’elles étaient debout, mais ne tarda pas à revenir.

— Zelandoni s’attendait à ce que je fasse quelque chose, as-tu dit ? demanda Ayla.

— Elle ne s’y attendait pas vraiment. Elle pensait seulement que c’était possible.

— À quoi s’attendait-elle ? Je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé.

— Zelandoni te le dira mieux que moi, je crois. J’aimerais qu’elle soit là, mais je pense que tu es une Zelandoni maintenant. Je crois que tu as été appelée. Te souviens-tu de quelque chose ?

— Je me souviens de certaines choses, oui, puis, brusquement, je m’en rappelle d’autres, mais je n’arrive pas à voir clair dans tout ça, répondit Ayla, le sourcil froncé.

— À ta place, je ne m’en soucierais pas encore. Attends de parler à Zelandoni. Je suis sûre qu’elle sera à même de te donner des explications et de t’aider à comprendre. Pour l’instant, tu as seulement besoin de reprendre des forces.

— Tu as sans doute raison, répondit Ayla, soulagée d’avoir une excuse pour remettre à plus tard le moment de creuser la question.

Elle n’avait même pas envie d’y penser, bien qu’elle ne pût s’empêcher de se souvenir du bébé qu’elle avait perdu. Pourquoi la Mère avait-elle voulu le lui prendre ?

 

 

Ayla ne fit guère que dormir pendant plusieurs jours, puis un matin, en se réveillant, elle fut prise d’une faim dévorante et, les deux jours suivants, il lui sembla ne jamais avoir assez à manger. Lorsqu’elle sortit enfin du logis et retrouva le petit groupe, tous la regardèrent avec un respect nouveau, auquel se mêlaient de la crainte et un peu d’appréhension. Ils savaient qu’elle avait traversé une rude épreuve qui l’avait transformée. Et tous éprouvaient une certaine fierté car ils étaient là lorsque c’était arrivé et, d’une certaine manière, ils avaient l’impression d’y avoir participé.

— Comment te sens-tu ? demanda Jeviva.

— Beaucoup mieux, répondit Ayla, mais j’ai une de ces faims !

— Viens te joindre à nous. Il y a beaucoup à manger et c’est encore chaud.

— Volontiers.

Ayla s’assit à côté de Jeralda pendant que Jeviva lui préparait un plat.

— Et toi, comment te sens-tu ?

— Je m’ennuie ! répondit Jeralda. J’en ai assez de rester assise et allongée. J’aimerais que ce bébé arrive.

— Je crois qu’il ne va pas tarder. Ça ne te ferait pas de mal de marcher, maintenant, et ça favoriserait sa venue. C’est ce que j’ai pensé la dernière fois que je t’ai examinée, mais j’ai préféré attendre pour te le dire.

 

 

— J’espère que je n’ai pas fait de bêtise, dit Marthona ce soir-là sur un ton un peu hésitant.

— Je ne comprends pas.

— Zelandoni m’a dit de ne pas essayer de t’empêcher de partir. Quand tu n’es pas rentrée, ce matin-là, j’étais terriblement inquiète. Loup l’était encore plus. Tu lui avais dit de rester auprès de moi, mais il gémissait et voulait s’en aller. Rien qu’à sa façon de me regarder, je savais qu’il voulait partir à ta recherche. Je ne voulais pas qu’il te dérange, alors je l’ai attaché avec une corde autour du cou comme tu le faisais parfois. Mais après quelques jours il avait l’air si malheureux et je m’inquiétais tant que je l’ai détaché. Il s’est précipité dehors. Ai-je eu tort de le laisser partir ?

— Non, Marthona. J’ignore si j’étais dans le Monde des Esprits, mais si j’y étais et s’il m’y a trouvée, c’est parce que j’étais déjà sans doute en train d’en revenir. Loup m’a aidée à trouver la sortie de la grotte, du moins a-t-il essayé de me faire comprendre que j’allais dans la bonne direction. C’était tout sombre là-dedans, mais les passages étaient étroits et je restais près de la paroi. Je crois que j’aurais pu de toute façon trouver la sortie, mais ça aurait pris plus de temps.

— Je ne suis pas certaine d’avoir bien fait de l’attacher. Je ne sais pas si c’était à moi de prendre cette décision… Je me fais vieille, Ayla. Je ne suis même plus capable de prendre une décision.

L’ancienne chef de la Caverne secoua la tête, comme dégoûtée d’elle-même.

— Le Monde des Esprits n’a jamais été mon fort. Tu étais si faible quand tu es arrivée là, tu semblais avoir besoin qu’on t’aide. Peut-être la Mère a-t-elle voulu que je laisse partir cet animal afin qu’il te retrouve et te secoure.

— Je crois que tu n’as rien fait de mal. Les choses se passent comme Elle le veut. Pour le moment, ce que je veux, moi, c’est aller prendre un bon bain dans la Rivière et me laver. Sais-tu si Zelandoni a laissé de cette mousse nettoyante des Losadunaï ? Celle que je lui ai montré comment préparer, avec de la graisse et des cendres ? Elle aime s’en servir à des fins de purification, surtout pour laver les mains des creuseurs de tombe.

— Je ne sais pas si elle en a laissé, mais moi j’en ai, répondit Marthona. Je m’en sers parfois pour les tissages. Je l’ai même utilisée pour laver les plats, ceux sur lesquels j’ai servi de la viande ou recueilli de la graisse. Tu te laves avec ?

— Les Losadunaï le faisaient parfois. Ça peut être irritant et rougir la peau. D’ordinaire, je préfère la saponaire ou une autre plante, mais aujourd’hui je veux me laver à fond.

 

 

Si seulement il y avait une source d’eaux chaudes curatives de Doni dans les parages, ce serait parfait, mais la Rivière fera l’affaire pour le moment, se dit Ayla en se dirigeant vers la Rivière avec Loup.

Il leva les yeux vers elle tout en cheminant à ses côtés. Depuis son retour, il était resté près d’elle et n’avait pas voulu la perdre de vue.

Tandis qu’elle descendait le sentier vers la rivière, le soleil chauffait agréablement. Elle fit mousser la saponaire et se lava les cheveux, puis plongea sous l’eau pour bien se rincer et nagea un bon moment. En sortant, elle se reposa sur un rocher plat pour se sécher tout en se peignant les cheveux. Comme il fait bon au soleil, pensa-t-elle en étendant sa peau de daim pour se coucher dessus. La première fois que je me suis allongée sur ce rocher, quand était-ce ? C’était le jour de mon arrivée, quand Jondalar et moi sommes venus nager.

Elle pensa à Jondalar et le vit mentalement, étendu nu à côté d’elle. Ses cheveux blonds et sa barbe plus sombre…

Non, c’était l’été. Il avait dû se raser. Des rides commençaient à sillonner son grand front à cause de sa mauvaise habitude de froncer les sourcils quand il se concentrait ou se faisait du souci. Ses yeux bleus qui me regardaient avec amour et désir… Jonayla a les mêmes. Son nez fin et droit, sa solide mâchoire, ses lèvres pleines et sensuelles…

Sa pensée s’attarda sur la bouche de son compagnon, elle la sentait presque sur elle. Ses larges épaules, ses bras musclés, ses grandes mains. Des mains capables de sentir un silex et de déterminer où il allait se fracturer, ou de caresser son corps avec une telle sensibilité qu’il savait comment elle allait réagir. Ses longues jambes puissantes, la cicatrice laissée près de son membre viril par son lion.

Rien que de penser à lui, elle sentait le désir monter en elle. Elle avait envie de le voir, d’être à son côté. Elle ne lui avait même pas dit qu’elle attendait un enfant, et maintenant elle n’avait plus de raison de lui en parler. Le chagrin l’envahit. Elle avait voulu ce bébé, mais la Mère l’avait voulu encore plus ; à cette pensée, elle fronça les sourcils. Elle savait que je désirais un autre enfant et Elle n’aurait peut-être pas voulu d’un bébé que je ne voulais pas.

Pour la première fois depuis la terrible épreuve qu’elle avait traversée, elle se mit à songer au Chant de la Mère et se souvint avec émoi du nouveau couplet, celui qui parlait du Don de la Connaissance, la connaissance de ce que les hommes sont nécessaires pour qu’une nouvelle vie advienne.

 

Son dernier Don, la Connaissance que l’homme a son rôle à jouer.

Son besoin doit être satisfait avant qu’une nouvelle vie puisse commencer.

Quand le couple s’apparie, la Mère est honorée

Car la femme conçoit quand les Plaisirs sont partagés.

Les Enfants de la Terre étaient heureux, la Mère pouvait se reposer.

 

Voilà longtemps que je le sais. Elle me dit maintenant que c’est vrai. Pourquoi m’a-t-Elle accordé ce Don ? Pour que je puisse le partager, pour que je puisse le dire aux autres ? C’est pour cela qu’Elle voulait mon bébé ! Elle m’a d’abord parlé de Son dernier grand Don, mais il fallait que j’en sois digne.

Le prix à payer était élevé et peut-être devait-il l’être.

Peut-être la Mère devait-Elle me prendre quelque chose de précieux afin que j’apprécie le Don. Les Dons ne sont faits qu’en échange de quelque chose de très précieux.

Ai-je été appelée ? Suis-je Zelandoni, maintenant ? Parce que j’ai fait le sacrifice de mon bébé, la Grande Mère m’a parlé et m’a révélé le reste du Chant de la Mère afin que je puisse le faire connaître et apporter ce merveilleux cadeau à Ses enfants. Jondalar aura maintenant la certitude que Jonayla est sienne autant que mienne. Et nous saurons dorénavant comment faire un enfant quand nous en voudrons un. Tout homme saura désormais qu’il ne s’agit pas seulement d’esprits, mais que c’est lui, son essence, qui engendre un enfant, il saura que ses enfants font partie de lui.

Et si la femme ne veut plus d’enfants ? Ou devrait s’abstenir d’en avoir parce qu’elle est trop faible ou épuisée par des grossesses trop nombreuses ? Eh bien, elle saura comment faire ! Une femme saura désormais comment éviter d’avoir un enfant si elle n’est pas prête ou n’en veut pas. Elle n’a pas à le demander à la Mère, à prendre un remède particulier, elle doit seulement cesser de partager les Plaisirs et elle n’aura plus d’enfants. Pour la première fois, une femme peut être maîtresse de son corps, de sa propre vie. Le savoir est essentiel… mais il y a un autre parti. Qu’en est-il de l’homme ?

Et si lui ne veut pas cesser de partager les Plaisirs ? Ou s’il veut un enfant qu’il sache être de lui ? Ou s’il n’en veut pas ?

Je veux un autre bébé et je sais que Jondalar aimerait aussi en avoir un. Il est si gentil avec Jonayla et avec les jeunes qui apprennent à tailler le silex, ses apprentis. Je suis triste d’avoir perdu ce bébé.

En pensant à la perte de son bébé, ses yeux s’emplirent de larmes.

Mais je peux en avoir un autre, pensa-t-elle. Si seulement Jondalar était ici, nous pourrions en faire un tout de suite, mais il est à la Réunion d’Été. Je ne peux même pas lui apprendre la perte du bébé. Il en sera affligé, je le sais. Il voudra en faire un autre.

Pourquoi n’y vais-je pas ? Je n’ai plus à observer le ciel. Je n’ai plus à veiller tard, mon apprentissage est terminé. J’ai été appelée. Je suis Zelandoni ! Et il faut que je le dise au reste de la Zelandonia. Non seulement la Mère m’a appelée, mais elle m’a fait un Don merveilleux. Un Don destiné à tous et à toutes. Je dois aller parler à tous les Zelandonii du nouveau Don de la Mère. Et j’en parlerai aussi à Jondalar, et peut-être ferons-nous un autre bébé.

Le Pays Des Grottes Sacrées
titlepage.xhtml
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html